Jean-Nicolas Reinert

 

Entretiens :

1. Entretien avec Jeanine Rivais, dans le cadre du Printemps des Singuliers

Jeanine Rivais — Vous réalisiez voici quelques années des masques assez terribles. Vous créez maintenant de petites sculptures en terre dont les personnages hurlent tous. Comment êtes-vous passé des uns aux autres ? S’agit-il de l’extériorisation d’un problème ?
Jean-Nicolas Reinert — Pas d’un problème, mais de ce que j’ai vécu directement dans la rue. Par exemple, un jour où je m’étais fait arrêter en voiture sans ma ceinture de sécurité, les flics m’ont fouillé, m’ont demandé si je prenais de la drogue… Du coup ma sculpture comprenait un personnage qui se faisait arrêter, face à un policier.
J. R. — Dans ces conditions, chaque sculpture appartient-elle à une scène collective ; ou chacune correspond-elle indépendamment à un événement ?
J-N. R. — Dans l’ensemble, elles se regardent individuellement. Mais elles appartiennent toutes à une même série de soucis. Et l’une d’elles est « La Domination », elle coiffe toutes les autres.
J. R. — En même temps, vous  avez placé toutes vos sculptures sur du sable. Ce sable est-il supposé signifier la fragilité de leur assise, ou bien y a-t-il une autre explication ?
J-N. R. — En fait, j’aurais aimé les installer au milieu de rochers, les mettre en situation comme si elles avaient été au bord de la mer. Mais comme il était impossible d’apporter des galets, j’ai apporté du sable. Et ainsi, elles ont l’air plus naturel.
J. R. — Il me semble que, malgré tout, nous ne sommes toujours pas très loin « du masque », parce que tout le haut, visage et buste, est longuement ouvragé. Tandis que le bas est pratiquement laissé informe. Est-ce parce que le bas ne vous intéresse pas ?
J-N. R. — Il est vrai que le bas me laisse assez indifférent. J’attache beaucoup plus d’importance à l’esprit, aux gestes des gens qu’à l’assise. En fait, ces sculptures sont à mon image. Car je me soucie fort peu de la façon dont je m’habille. Je me dis que seul compte l’endroit par où passe la parole.
J. R. — Mais alors, pourquoi n’avoir pas continué les masques ? À tout le moins vous arrêter au cou ?
J-N. R. — J’aurais pu, en effet. Mais je me suis dit un jour : « Pourquoi ne pas faire un corps ? ». En fait, cela s’est fait tout seul.
J. R. — Tout de même, certaines sont très élaborées jusqu’au sexe. Seules, les jambes sont indéterminées. Est-ce une façon pour vous d’empêcher vos personnages d’aller quelque part ? Ou de prouver qu’ils ne peuvent pas y aller ?
J-N. R. — Oui, je crois.
J. R. — Ailleurs, une autre œuvre a très nettement un corps de femme, un beau corps très sculptural ;  et une tête d’homme démoniaque. Pourquoi cette ambivalence ?
J-N. R. — J’ai voulu représenter une femme assez violente. Ce travail correspond à une difficulté que j’éprouve à dialoguer avec certaines femmes.
J. R. — Et cette façon de lui créer une tête aussi démoniaque est une façon de conjurer votre peur ? Vous faites, c’est évident, une projection sur vos sculptures ? Et, finalement, vous n’avez pas dit tout à l’heure ce que hurlent vos personnages ?
J-N. R. — En fait, ici, j’ai traité d’un problème d’éducation. Il s’agit d’une femme qui « éduque » son enfant. Qui le corrige physiquement. Qui parle fort parce qu’elle est en colère.
J. R. — Mais l’enfant est si petit qu’au début je le croyais absent. Maintenant, je vois qu’il a une tête de vieillard.
J-N. R. — Oui, c’est vrai. Mais j’ignore pourquoi. Il m’arrive de mettre mes œuvres en couple parce que je trouve qu’à deux elles résument bien une situation donnée. Mais la plupart du temps, elles sont seules.
J. R. — Qu’est-ce que le raku a apporté à l’expression de vos sculptures ?
J-N. R. — Je trouve qu’il les valorise. Les agrandit  par les enfumages. Leur apporte des nuances intéressantes. Je veux redire que chacune correspond à une situation que j’ai vécue. À des douleurs que j’ai eu du mal à évacuer. En fait, chaque sculpture est un arrêt sur image.  J’aime beaucoup ajouter des oxydes de fer qui, en créant des résultats inattendus me  permettent de penser que ces sculptures sont finalement des Dieux.
J. R. — On peut donc affirmer que chacune EST une colère ? Mais, si toutes ces œuvres sont des actes de colère, pourquoi certains personnages appartiennent-ils au quotidien, tandis que d’autres seraient des Dieux ?
J-N. R. — En fait, au départ, dans ma tête, toutes sont des Dieux. Mais ensuite, selon la forme qu’elles m’ont amené à leur donner, certaines demeurent au quotidien, d’autres deviennent des Dieux. C’est ce que j’essaie de démontrer dans mes photos.
J. R. — Vous emportez souvent vos œuvres au bord de la mer, pour les mettre en situation parmi les rochers, au bord des falaises. Qu’est-ce que la photo vous apporte par rapport à l’œuvre ?
J-N. R. — La photo est pour moi aussi importante que les œuvres elles-mêmes. Elle les adoucit, et les met en rapport entre elles. Tout se passe comme si, ma colère passée, je retrouvais une ambiance plus douce. Je peux ainsi les imaginer en marche, émergeant de la mer, venant vers moi en situation de réussite…



2. Entretien réalisé dans la Grotte du Roure, à Banne, le 18 juillet 2006

Jeanine Rivais : Jean-Nicolas Reinert, nous nous sommes déjà longuement rencontrés voici quelques mois, donc à part les choses nouvelles dont vous aimeriez me parler, je vous poserai la même question qu'à tous les exposants : Pensez-vous être à Banne en tant qu'artiste Singulier ? Ou artiste contemporain ? Et pourquoi ?
Jean-Nicolas Reinert : Artiste singulier. Je trouve que mon travail y figure très bien. Et je trouve que j'ai bien ma place dans cette mouvance.

JR. : A la production grave, sérieuse, que je connaissais, ont succédé des sortes de petits chérubins très colorés, très vifs, la plupart du temps au corps incomplet, comme s'ils avaient été conçus dans un même moule ?
JN. R. : Pas du tout. Mais j'ai voulu faire des petits personnages qui dansent, d'où leurs attitudes voisines. A l'avenir, j'ai l'intention de les adoucir encore, d'en faire des petits personnages au corps également dansant, et avec un corps entier. Ceux qui sont ici, sont des ébauches.
JR. : Et à votre avis, comment ces minuscules personnages se sentent-ils à côté des " grands " ? JN. R. : Ils sont tous en harmonie, puisque les grands sont aussi occupés : les uns à téléphoner, les autres à jour, rouler leur poussette, etc.
JR. : Vous aviez dit vouloir réaliser une mise en scène, et je vois que vous avez en fait mis en place une exposition très classique : qu'est-ce qui vous a empêché de jouer avec les rochers irréguliers de la grotte, des renfoncements de murailles, etc. Pourtant, à Paris, à l'Espace Lucrèce, vous aviez magnifiquement joué " dans la cour de récréation " !
JN. R. : J'ai un peu eu peur. Et surtout, j'ai eu envie d'utiliser ces socles rouillés qui sont très beaux et conviennent parfaitement à mes sculptures. Ce n'était pas non plus facile de les mettre en scène ici, à cause de l'obscurité qui règne au fond de la grotte, et puis j'ai voulu faire quelque chose de très différent de Paris.
JR. : Et maintenant, quels sont vos projets ?
JN. R. : Ce seront des danseurs dans des positions très scabreuses !
JR. : Voilà, en tout cas, un Jean-Nicolas Reinert complètement extraverti !
JN. R. : Je l'espère.






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